Du Grain à moudre
Par Julie Clarini et Brice Couturier - France Culture
26.10.2010
Raymond Aron se moquait de ces historiens fatalistes, abonnés aux « lois de l’histoire » qui considèrent que « le passé a été fatal… mais que l’avenir reste indéterminé ». L’histoire des Juifs allemands a connu des moments de grâce, des phases de crise plus ou moins aiguë, elle a fini de la manière la plus tragique qui se puisse imaginer ; pourquoi considérer cette issue, l’extermination, comme fatale, inévitable ? Il y a une histoire téléologique du couple judéo-allemande qui, à la manière de Daniel Goldhagen, considère que la Shoah était inscrite dans le programme génétique du nationalisme allemand.
Ce n’était certes pas l’avis du grand historien et essayiste israélien Amos Elon, dont on vient de traduire Requiem allemand.
Son histoire commence en cet automne 1743 où un jeune Juif bègue et à demi-bossu est autorisé à entrer à Berlin par la Rosenthal Tor, la porte réservée aux Juifs et aux bestiaux. Quelques années plus tard, considéré comme le « Socrate allemand », il deviendra un le modèle de la pièce de Lessing, Nathan le Sage. Elle se termine, cette histoire, avec la bibliothèque que Salman Schocken se fait construire à Jérusalem, en 1933, pour y conserver ses 25 000 livres en hébreu et ses 30 000 volumes en allemand, véritable monument édifié à la mémoire de la symbiose judéo-allemande.
Cette histoire est faite de moment de grâce : avec Heinrich Heine et la Jeune-Allemagne, le salon de Rahel Levin, le Parlement de Francfort en 1848, les grands industriels et savants de l’époque de Guillaume II - les Albert Ballin, Rathenau père, et autres Warburg, puis les intellectuels et artistes de la république de Weimar, pas tous d’avant-garde : de Tucholsky à Wicky Baum. Mais elle est aussi, c’est vrai, parsemée de phases de persécutions, comme les émeutes « hep hep » de 1819, la vague de judéophobie qui suivit le krach boursier de 1873, ou la recherche de boucs émissaires à la défaite de 1918.
Doit-on pour autant considérer l’arrivé de Hitler au pouvoir et la catastrophe qui s’en suivit comme une fatalité ? Ce serait oublier l’une des grandes leçons de l’Europe centrale que Claudio Magris, dans Danube, résumait ainsi : « ne pas prendre trop au sérieux ce qui survient, bien nous souvenir que les choses arrivent surtout par hasard, et qu’elles pourraient tout aussi bien aller autrement ».
Invités :
Daniel Azuélos, professeur de civilisation allemande à l'université d'Amiens.
Enzo Traverso, professeur de science politique à l’université de Picardie.
Marek Halter, ecrivain et président du Comité international pour la paix au Proche-Orient.
David Vandermeulen, auteur de bandes dessinées.